Colloque Alimentation et santé des jeunes de l’ITHQ

Voici une série de 17 comptes rendus réalisés lors du colloque, Alimentation et santé des jeunes : connaissances et innovations pour lutter contre les tendances non désirées, de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), tenu à Montréal les 3 et 4 octobre 2011.

Lors de ce colloque, les principaux intervenants ont discuté des liens complexes entre l’alimentation et la santé et de l’importance de transmettre de saines habitudes alimentaires de l’enfance jusqu’à la fin de l’adolescence.

Donc, dans cette optique, quel est le rôle des professionnels de l’alimentation dans cette transmission de saines habitudes alimentaires? Quelles actions peuvent-ils entreprendre?

L’ITHQ a d'ailleurs lancé, en janvier 2010, le projet La santé au menu, qui donne des moyens aux professionnels de la restauration (cuisine et gestion) pour créer des environnements favorables à une saine alimentation.

Le poids et l'alimentation des jeunes: la situation au Québec

Améliorer les habitudes alimentaires des jeunes Français

Une mauvaise alimentation chez les jeunes: des risques réels pour leur santé

Les ados ont « des alimentations » multiples et multiculturelles

Saine alimentation: les entreprises ont-elles une responsabilité?

Un environnement favorable à une saine alimentation: pourquoi et comment?

Comment offrir des aliments plus sain dans les arénas, les écoles, les restos

Saine alimentation des tout-petits: une responsabilité à partager

Choix santé dans les machines distributrices: l'exemple du CHU Sainte-Justine

Restauration scolaire: quand l'industrie aide les cuisiniers des cafétérias

L'environnement alimentaire des jeunes: comment faire des interventions efficaces?

Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée: la création d'un consensus

Marketing alimentaire à la télé: nos enfants sont-ils protégés?

Comportements alimentaires des jeunes: manger n'est pas un jeu!

L'éducation alimentaire: une approche historique

Menus santé à la cafétéria de l'école: favoriser des plats simples

Alimentation et santé des jeunes: quel avenir?

 

Saine alimentation: les entreprises ont-elles une responsabilité?

Les entreprises ont avant tout une responsabilité économique, mais elles devraient aussi avoir une responsabilité sociale. Pourquoi? Parce qu’elles sont coresponsables des problèmes de santé publique et qu’elles ne devraient pas miner la crédibilité ni la légitimité des interventions gouvernementales. Des outils pour y arriver : l’éducation, la régulation et l’autorégulation.

Décider d’allouer une responsabilité sociale aux entreprises agroalimentaires dans les tendances non désirées en alimentation soulève deux enjeux philosophiques : la légitimité démocratique et une certaine opposition idéologique des entreprises à l’égard des pouvoirs publics et des interventions gouvernementales.

MY Neron

Compte-rendu de la présentation donnée par Pierre-Yves Néron, chercheur postdoctoral au Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal (CRÉUM) et du Groupe de recherche interuniversitaire en philosophie politique (GRIPP) à Montréal.

1. Responsabilité sociale des entreprises : deux questions principales

La première question : Quels devraient être le rôle et la responsabilité des entreprises dans la lutte contre les tendances non désirées en alimentation?

« La réponse attendue, dit Pierre-Yves Néron, est de dire que la responsabilité des entreprises est d’abord d’essayer de maximiser les profits de leurs actionnaires. »

La deuxième question : Ces entreprises agroalimentaires ont-elles une responsabilité sociale? Par exemple, améliorer l’offre ou relever leurs critères?

« On serait tenté de répondre “non”, s’il n’y a pas de demande et si cela ne contribue pas au rôle premier des entreprises, qui est de faire fructifier les profits des actionnaires. Ces entreprises n’ont pas à assumer une telle responsabilité », indique Pierre-Yves Néron.

Mais, il est possible de donner une réponse positive à ces deux questions en allant puiser dans les discours entourant la responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire :

  • le discours moral et éthique. La façon dont les entreprises devraient se comporter et les attentes légitimes que la société est en droit d’avoir sur ces dernières;
  • le discours politique. Pour que les entreprises soient à même de rendre des comptes à l’ensemble de la société et non pas au seul groupe des actionnaires;
  • le discours d’affaires. Il est utilisé par bon nombre d’entreprises et même par des gouvernements pour mettre en place des mesures d’aide aux entreprises ou des programmes de responsabilité sociale de l’entreprise de développement durable.

2. Qu’est-ce que la responsabilité sociale des entreprises?

« Au-delà de la simple recherche du profit pour les actionnaires dans le respect des lois et des régulations, il faut également être capable d’attribuer les responsabilités non purement économiques, mais également sociales et environnementales aux entreprises », répond Pierre-Yves Néron.

Pour la tentative d’attribuer un rôle un peu plus social, au-delà d’un rôle simplement économique des entreprises, Pierre-Yves Néron propose de se pencher sur quelques outils dont on pourrait disposer dans la lutte contre les tendances non désirées en alimentation :

  • l’éducation, qui permet de procéder à certaines modifications des préférences individuelles. Un outil séduisant, selon lui, mais qui risque d’être miné par des effets systémiques; de bonnes interventions gouvernementales par l’intermédiaire d’une bonne régulation des bonnes pratiques commerciales et par l’interdiction de toute une gamme de pratiques commerciales, par exemple;
  • l’autorégulation de la part de l’industrie avec des programmes, des mesures de responsabilité sociale qu’elle va s’imposer à elle-même, des critères plus élevés, même si la régulation gouvernementale ne le fait pas.

3. Responsabilité sociale des entreprises : les principaux arguments

Selon Pierre-Yves Néron, l’argument que l’on peut avancer pour attribuer un rôle proactif de responsabilité sociale aux entreprises consisterait à dire que les entreprises agroalimentaires sont coresponsables des problèmes de santé publique.

« Mais si nous voulons régler un certain nombre de problèmes de santé publique liés aux pratiques et aux habitudes alimentaires, il me semble que nous devons constamment garder l’œil ouvert et agir de telle manière que les interventions des entreprises n’auront pas pour effet de miner la crédibilité et la légitimité de certaines interventions des pouvoirs publics », explique Pierre-Yves Néron.

Carole Boulé pour Québec en Forme

Ce reportage a été rendu possible grâce à Québec en Forme avec la collaboration de l’ITHQ.

Les ados ont «des alimentations» multiples et multiculturelles

En France, il n’y a pas qu’un type d’adolescent ni qu’un type d’alimentation. Il y a des adolescents, des alimentations et des habitudes multiples. Cette multiplicité culturelle appelle une intervention plus globale de santé qui dépasse les recommandations nutritionnelles des 5 portions de fruits et légumes par jour, par exemple.

 

Compte rendu de la présentation de Véronique Pardo, anthropologue et directrice adjointe à l’Observatoire Cniel des habitudes alimentaires (OCHA) à Paris.

1. Les pratiques alimentaires des adolescents vérifiées sur le terrain

Le programme de recherche AlimAdos, sélectionné par l’Agence nationale de la recherche, est une étude qualitative sur l’observation des pratiques alimentaires des adolescents en France.

L’équipe multidisciplinaire de Véronique Pardo a voulu mieux comprendre les cultures alimentaires de divers groupes, les relations entre les habitudes alimentaires et la culture et l’image du corps.

« On a réalisé des entretiens sur l’alimentation auprès de 2000 adolescents, mais surtout, on a partagé leur quotidien et leur repas dans leur famille, dans leur contexte, leur environnement et leurs réseaux sociaux », explique Véronique Pardo.

2. Les recommandations nutritionnelles : qu’en font les adolescents?

D’une manière générale, les adolescents connaissent bien les recommandations nutritionnelles. « Mais attention, dit Véronique Pardo. Il y a une différence entre connaître, mettre en pratique et accepter. En fait, ils sont capables de les citer et même de nous les réciter par cœur au début de l’étude. »

La recommandation des cinq fruits et légumes par jour est souvent citée en premier par les ados. Mais elle ajoute qu’ils se questionnent sur ce que veut dire vraiment manger cinq fruits et légumes. C’est cinq portions? Cinq fruits différents? Une portion de légumes, c’est quoi au juste?

Ces recommandations nutritionnelles peuvent même avoir un effet pervers auprès des adolescents. « Beaucoup d’infirmières et de médecins ont souligné une consommation excessive de fruits au détriment de tous les autres aliments, notamment chez les jeunes filles pensant que les fruits les feraient maigrir », indique Véronique Pardo.

L’une des infirmières interrogées déplore d’ailleurs que la notion de plaisir soit toujours absente des campagnes de prévention : « Manger doit rester un plaisir chez les jeunes ». Le discours de manger cinq fruits et légumes par jour est aberrant. Les adolescentes le savent, mais elles comprennent aussi qu’on peut manger cinq fruits et légumes et avoir des problèmes de poids », rapporte l’anthropologue.

3. Les différences culturelles

Véronique Vardo a constaté que les adolescents ne se reconnaissaient pas dans la culture qui était instituée par ces recommandations nutritionnelles en France.

« Les campagnes d’information et de prévention qui sont livrées nous sont apparues — à nous, chercheurs en anthropologie — un peu trop ethnocentriques et elles devraient s’ouvrir sur l’idée que la France est aujourd’hui une société multiculturelle et que nos adolescents ont des pratiques alimentaires extrêmement mêlées et extrêmement métissées », explique-t-elle.

4. Une éducation alimentaire au sens large

« Il existe une forte culpabilité chez les adolescents et même chez ceux qui mangent “mal”. Le plus surprenant, dit-elle, est que ces adolescents plaident eux-mêmes pour recevoir une éducation alimentaire au sens large et pas seulement, une éducation nutritionnelle. »

Véronique Pardo souligne aussi que plusieurs adolescents suivent des cours de cuisine ou demandent à s’inscrire à des cours de cuisine, lorsqu’ils sont proposés dans les collèges ou les associations. C’est un phénomène qui a explosé chez les jeunes, selon elle, dans les associations en France.

« Au quotidien de notre recherche de 2006 à 2010, on a bien vu que ces ados étaient tout à fait capables d’entendre un discours si plaisir, santé et comportements alimentaires s’entremêlaient », dit Véronique Pardo. D’où l’importance de leur parler de la santé au sens général, c’est-à-dire un bien-être global, social, culturel, psychologique et bien sûr, biologique.

Découvrir le programme de recherche AlimAdos

L'Observatoire Cniel des Habitudes Alimentaires est un programme à long terme d’études et de publications créé en 1992 au sein de l’interprofession laitière (le Cniel) pour explorer les relations des mangeurs à leur alimentation avec une approche pluridisciplinaire privilégiant les sciences humaines et sociales. Consulter ses travaux

Carole Boulé pour Québec en Forme

Ce reportage a été rendu possible grâce à Québec en Forme avec la collaboration de l’ITHQ.

L’éducation alimentaire: une approche historique

Julia Csergo nous livre les faits saillants d’une enquête historique sur l’éducation alimentaire qu’elle a menée sur la France de la fin du 18e siècle jusqu’à la première moitié du 20e siècle, principalement sur l’approche des politiques publiques et des politiques d’éducation nationale en matière d’éducation alimentaire. 

Compte rendu de la présentation de Julia Csergo, professeure en histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2.

1. L’éducation alimentaire : les préoccupations hygiénistes

« Au début du 19e siècle, on est dans une époque marquée par des préoccupations hygiénistes où tout un champ de la médecine se développe. L’hygiène est définie à ce moment-là comme l’art de conserver la santé et d’accéder au bonheur. Dans ce courant de pensée hygiéniste par exemple, l’individu a le devoir de veiller à sa santé », note l’historienne Julia Csergo.

Elle ajoute que le plus grand problème à cette époque était la tuberculose, qu’on reliait souvent à la mauvaise qualité de l’air et à la mauvaise alimentation.

La responsabilité des pouvoirs publics était alors d’assurer la santé physique et morale des hommes qui vivent en société, notamment sur la salubrité de l’habitation, la disponibilité et la salubrité de l’eau et l’alimentation au niveau de la quantité, la qualité et des choix alimentaires.

« Par exemple, dans les années 1880 à Paris, les laboratoires municipaux qui permettaient d’analyser la composition des aliments révélèrent qu’il y avait 30 % des aliments analysés qui étaient nocifs pour la santé », mentionne Julia Csergo.

2. L’éducation alimentaire dans les programmes scolaires

« Dans les programmes scolaires de la seconde moitié du 19e siècle et jusqu’aux années 1930, on se rend compte que les garçons ont accès à l’éducation alimentaire dans plusieurs disciplines : la botanique, la physiologie (digestion, etc.), la nutrition et l’hygiène », indique-t-elle.

Les filles ont aussi accès à ces disciplines, mais on leur ajoute d’autres matières comme l’économie domestique où elles doivent apprendre à élaborer des rations alimentaires, à choisir des produits, à composer des repas économiques, sains et rationnels. On leur faire également des leçons de morale sur l’ivrognerie et la gourmandise.

« Par cette éducation, l’État est pédagogue puisqu’il lutte contre l’ignorance et les préjugés alimentaires qui sont inscrits dans les mentalités. Il instruit sur les nouveaux savoirs nutritionnels et gère la question sociale de l’insuffisance alimentaire en faisant en sorte que, par l’éducation, l’individu devient un acteur de sa santé. C’est aussi par le biais de l’enfant qu’on va pénétrer dans les familles pour éduquer les mères. La famille va véritablement devenir le pilier de la société », note l’historienne.

Elle constate aussi que toutes les politiques mises en place à ce moment-là sont liées aux exigences sanitaires des sociétés libérales et industrialisées : une population en bonne santé donne de meilleures performances au travail.

3. L’éducation alimentaire : les leçons tirées de l’histoire

Selon Julia Csergo, cette perspective historique nous apprend que l’école demeure un lieu privilégié pour transmettre les notions de base d’une saine alimentation.

« De nos jours, on est encore dans les phénomènes d’idéalisation de la mère au foyer et d’une stigmatisation des modèles familiaux non normés. On privilégie toujours la responsabilité individuelle en ce qui a trait à sa santé et à ses comportements alimentaires », poursuit-elle.

Les différences se situent surtout autour de l’objet des politiques publiques : avant on gérait l’insuffisance alimentaire et maintenant on doit gérer l’abondance.

« La dictature du “nutritionnellement correct” dans laquelle nous sommes en France peut nous amener à nous interroger sur les fondements mêmes de cet hygiénisme qui est tablé, à mon sens, sur la responsabilisation et la culpabilisation de l’Individu entre le bon et le mauvais aliment, entre le fort et le faible, sur la capacité de résister à manger un aliment trop riche », estime Julia Csergo.

Selon elle, la mise en perspective historique de l’approche nutritionnelle montre qu’on risque de masquer les dimensions multifactorielles des problèmes de comportements alimentaires, comme l’obésité.

Carole Boulé pour Québec en Forme

Ce reportage a été rendu possible grâce à Québec en Forme avec la collaboration de l’ITHQ. 

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