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Guide alimentaire américain 2015-2020 : le géant de la malbouffe choisit d’avancer à pas de tortue

Jean-Claude MoubaracJean-Claude Moubarac
Anthropologue et chercheur en nutrition publique
Université de Montréal
11 janvier 2016

À tous nos lecteurs du bulletin du 8 mars 2016, veuillez nous excuser et cliquer sur ce lien pour accéder au blogue de Jean-Claude Moubarac du 7 mars 2016 intitulé À la défense de la cuisine… et de notre avenir collectif !

Le guide alimentaire américain 2015-2020 vient tout juste de sortir du four![1] Après une première lecture et des échanges avec plusieurs collègues, j’avoue être resté sur ma faim. Dans l’ensemble, je trouve ce guide imprécis, incomplet et je lui reproche même de censurer certains faits pourtant avérés. Je m’attendais à quelque chose de plus consistant de la part d’un pays sur qui pèse une véritable crise de santé publique. J’ai choisi ici d’appuyer ma critique par quelques exemples choisis.

D’abord, je trouve la vision globale de ce guide assez restreinte, car elle ne repose sur aucun principe apparent. Un bon guide devrait, d’abord et avant tout, se baser sur la science et l’éthique, et ensuite promouvoir des principes et des valeurs en matière de saine alimentation et d’éducation. Or, en l’occurrence, le guide ne se prononce même pas sur l’importance, pourtant fondamentale, de se doter d’un système alimentaire qui soit compatible avec l’environnement et le développement durable. Pourtant, il s’agissait d’une des recommandations du comité consultatif du guide alimentaire[2].

Si le guide affirme se baser sur les données scientifiques les plus actuelles, il censure certaines recommandations du comité consultatif, entre autres, celle de limiter la viande rouge et les boissons sucrées. Il choisit aussi d’ignorer, ou de minimiser, les impacts néfastes de la transformation alimentaire sur la nutrition et la santé. Et justement, ces effets néfastes ont largement été documentés par la recherche. Or, les Américains sont les premiers consommateurs d’aliments ultra-transformés au monde, et ces aliments sont ceux dans lesquels se retrouvent les plus grandes quantités de sucres ajoutés, de sodium et de gras saturés[3]. Comment peut-on ignorer de tels faits?

Contradictions dans les termes

Le guide prétend, par ailleurs, se baser sur des patrons alimentaires, c’est-à-dire la combinaison des aliments plutôt que sur des nutriments ou des aliments pris isolément. Or, cette affirmation est trompeuse. Par exemple, une des recommandations principales du guide se lit ainsi : « afin de satisfaire vos besoins en nutriments tout en respectant les limites caloriques quotidiennes, choisissez une variété d’aliments denses en nutriments, parmi tous les groupes alimentaires, selon les quantités recommandées ». Ce libellé, qui est trop vague pour être significatif, définit donc la qualité des aliments par leur teneur en nutriments, ce qui est contraire aux prétentions du guide. Et ceci peut induire en erreur. En effet, plusieurs aliments ultra-transformés peuvent être denses en nutriments, mais également riches en sucres ajoutés, comme les céréales à déjeuner par exemple.

Avancées timides

Mentionnons tout de même une intéressante avancée : le guide recommande de consommer moins de 10% des calories quotidiennes sous forme de sucres ajoutés. Il était temps! Ceci met fin au boycottage, sur plus de 12 ans, de la recommandation émise, en 2003, par l’Organisation mondiale de la Santé concernant les sucres libres.

Parmi les incohérences notables du guide, on trouve certaines recommandations, qui mettent l’accent sur un nutriment problématique présent dans un aliment, mais vont paradoxalement omettre les autres. Par exemple, on conseille de choisir des yogourts « faible en gras» sans prévenir qu’ils sont très souvent « riche en sucres ajoutés ».

Manque de clarté et omissions

En général, les meilleures recommandations du guide se cachent dans les exemples et les détails, plutôt que dans les recommandations principales. Ainsi, on propose de remplacer les croustilles par des carottes avec trempette, ou encore, de préférer un fruit à un dessert prêt-à-manger. Dans la plupart des cas, ces exemples consistent à opter pour des aliments frais ou peu transformés plutôt que des aliments ultra-transformés. Pourquoi donc ne pas en faire, d’emblée, une recommandation générale?

Le guide ignore en outre les contextes de consommation des repas. Où, comment et avec qui mange-t-on ? Car ceci est important pour la saine alimentation. Pourquoi ne pas avoir suggéré aux Américains de prendre le temps de bien manger et de partager leurs repas en famille ou en bonne compagnie? Le guide parle très peu du rôle essentiel que jouent les compétences culinaires dans l’art d’apprêter, à la maison, des aliments frais et sains.

Le poids de l’industrie

Enfin, le guide reste totalement silencieux quant à la nature pernicieuse de la publicité. En effet, la très grande majorité des publicités dans le monde de l’alimentation fait la promotion d’aliments ultra-transformés. Pourquoi ne pas encourager les citoyens américains à se méfier de telles campagnes publicitaires, et à plus forte raison lorsque celles-ci prétendent faire de l’éducation nutritionnelle?

En résumé, l’information fournie par le guide américain manque de clarté et de spécificité, en plus de se rendre coupable de plusieurs omissions et de pratiquer une forme de censure des faits scientifiques. En ce sens, il ne permet pas aux Américains de faire de meilleurs choix santé avec simplicité et facilité. Ceci traduit un manque flagrant de volonté politique. Il aurait plutôt fallu s’attaquer au cœur du problème afin de mettre un terme à la domination des aliments ultra-transformés et du grignotage entre les repas. Malheureusement, les grandes lacunes de ce guide font en sorte que les industries de la transformation vont vendre davantage de produits reformulés « réduit en sucres ajoutés, en sodium ou en gras saturés », sans véritablement présenter des choix santé. Rien d’étonnant dans un pays où le consumérisme est sacré et où les transnationales alimentaires continuent d’exercer un pouvoir exorbitant. D’ailleurs, preuve que le statu quo est respecté, la compagnie Nestlé supporte ouvertement le guide[4]. L’école de santé publique de Harvard, quant à elle, critique sévèrement le guide[5].

Le nouveau guide alimentaire américain avance à pas de tortue, de sorte que ses impacts sur la santé publique seront sans doute très mitigés. De bien meilleurs modèles de guides alimentaires existent pourtant au Brésil[6] ou en Suède[7]. Ils sont plus complets, clairs et spécifiques. Ils traduisent une réelle volonté politique de changement. Souhaitons que notre nouveau gouvernement canadien s’inspire de ces excellents guides, lors du processus de révision du guide actuel, qui date de 2007...

[1] http://health.gov/dietaryguidelines/2015/

[2] http://health.gov/dietaryguidelines/2015-scientific-report/pdfs/scientific-report-of-the-2015-dietary-guidelines-advisory-committee.pdf

[3] http://www.paho.org/hq/index.php?option=com_content&view=article&id=11153&Itemid=0%20Fact%20sheet:%20http:/www.paho.org/hq

[4] http://www.justmeans.com/press-release/nestle-supports-the-2015-2020-dietary-guidelines-for-americans-recommendations

[5] http://www.hsph.harvard.edu/news/hsph-in-the-news/new-dietary-guidelines-suggest-limits-on-sugar-saturated-fat-sodium-but-experts-criticize-omissions/

[6] http://189.28.128.100/dab/docs/portaldab/publicacoes/guia_alimentar_populacao_ingles.pdf

[7] http://www.livsmedelsverket.se/en/food-habits-health-and-environment/dietary-guidelines/

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