À la défense de la cuisine… et de notre avenir collectif !
Jean-Claude Moubarac
Anthropologue et chercheur en nutrition publique
Université de Montréal
7 mars 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie rendait public, le 1er mars 2016, un rapport qui a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Ce rapport intitulé : L’obésité au Canada : une approche pansociétale pour un Canada en meilleure santé, enjoint le gouvernement d’agir immédiatement afin de lutter contre l’obésité. L’approche pansociétale qu’il préconise permet enfin de replacer l’alimentation et la santé au cœur des politiques gouvernementales afin d’assurer l’avenir des Canadiennes et des Canadiens.
Le rapport insiste, entre autres, sur l’importance d’une refonte du Guide alimentaire canadien, aujourd’hui dépassé. Il propose aussi de mettre en branle une vaste campagne nationale de sensibilisation afin d’alerter le public quant aux risques que peuvent présenter les aliments ultra-transformés pour plutôt vanter les bienfaits des aliments frais et peu transformés. À cet égard, le rapport cite certains de mes travaux qui portent sur la transformation alimentaire et ses liens avec la qualité de l’alimentation au Canada et au Brésil ; travaux qui ont d’ailleurs inspiré le Guide alimentaire brésilien, souvent cité en exemple.
Une approche réaliste
Ce qui caractérise, en autres, le Guide alimentaire brésilien, c’est qu’il s’appuie sur l’étude des habitudes alimentaires de sa population. On a ainsi pu identifier les personnes qui s’alimentaient le mieux et comprendre pourquoi c’était le cas. C’est la meilleure approche si on veut s’assurer que les recommandations en matière de choix nutritionnels soient réalistes. À ce titre, mes recherches montrent que, au Canada, comme au Brésil, les gens qui présentent le meilleur profil nutritionnel sont ceux qui achètent principalement des aliments frais et minimalement transformés, et qui cuisinent régulièrement. Ce sont également ceux qui souffrent le moins d’obésité et de maladies chroniques associées.
Un panier d’épicerie déséquilibré
Or, ce modèle idéal du Canadien qui cuisine des aliments frais et qui mange en famille, ou entre amis, est encore loin d’être la norme. En effet, près de la moitié des calories consommées quotidiennement par les Canadiens, ce qui inclut bien sûr les Québécois, proviennent des aliments ultra-transformés. La consommation de ces aliments dépasse 40 % des calories quotidiennes chez tous les groupes sociodémographiques au pays, et elle est encore plus élevée chez les jeunes de 2 à 18 ans, atteignant 55 % des calories quotidiennes ! Il s’agit d’un problème systémique qui n’a fait que s’aggraver depuis les années 50. On estime, en effet, que la part calorique des aliments ultra-transformés dans le panier d’épicerie des Canadiens est passée de 24 % à 55 % entre 1938 et 2001 !
Actions concertées
Ainsi que le souligne le rapport sénatorial, il est urgent d’agir, tant pour le gouvernement, que collectivement et individuellement. Car il faut non seulement mettre en place des politiques publiques permettant de bâtir un système alimentaire plus sain, durable et équitable, mais il est aussi crucial de replacer le plaisir de cuisiner au centre de nos vies, que ce soit à la maison ou à l’extérieur. En effet, nous devons nous doter des moyens collectifs pour ramener l’art de cuisiner dans nos écoles, nos hôpitaux et les services alimentaires. Il s’agit d’un choix de société afin d’assurer l’avenir de nos enfants et de leurs enfants.
Je crois que sans un éveil des consciences et une forte mobilisation civile, le statu quo va demeurer et nous continuerons de nous appauvrir collectivement en payant le fort prix pour notre système alimentaire actuel, tant sur le plan de la nutrition, de la santé, de la culture alimentaire, de l’économie et de l’environnement. En effet, le système alimentaire industriel actuel contribue directement aux changements climatiques, en plus de menacer le patrimoine gastronomique et culturel de l’humanité. Pour moi, l’obésité comme les maladies chroniques sont le résultat net du système alimentaire industriel actuel, et c’est pourquoi une approche pansociétale est nécessaire.
Or, l’une des avenues les plus prometteuses, ce dont je suis fermement convaincu, c’est de mettre la cuisine au cœur de nos priorités. Car c’est en mettant la main à la pâte que nous goûterons les fruits d’une saine alimentation.
P.-S. Avis aux intéressés. Dans le cadre de son 25e anniversaire, le Regroupement des cuisines collectives du Québec m’a invité à donner une série de conférences sur l’importance de savoir cuisiner.
. Ces conférences se tiennent dans une vingtaine de villes du Québec, jusqu’au 31 mai 2016, en passant même par l’Hôtel de ville de Montréal et l’Assemblée nationale à Québec. Toute l’information sur la tournée, ainsi que le calendrier détaillé, est disponible sur le site du Regroupement des cuisines collectives du Québec :
Au plaisir de vous y rencontrer !





