Alimentation et santé des jeunes: quel avenir?
Voici un résumé de la Table ronde : quand le politique, le scientifique, le consommateur et l’industrie se rencontrent…
« C’est cette capacité à asseoir tout le monde autour d’une table qui pourra faire naître de nouvelles actions afin de faire évoluer la société », résume Bernard Fialaire, du Conseil général du Rhône (France).
Parmi les sujets discutés :
- les coûts du traitement de l’obésité chez les jeunes;
- le droit pour tous à une alimentation saine de qualité;
- l’effort de l’industrie pour offrir des produits plus santé;
- un changement de pratiques de la classe politique pour adopter une vision plus mobilisatrice.
Les participants à la table ronde :
- François Décary-Gilardeau, ex-analyste agroalimentaire chez Option consommateurs;
- Christine Demen-Meier, chercheuse et professeure à l’École hôtelière de Lausanne (Suisse), et directrice de la Chaire Food and Beverage financée par Danone, Unilever et Nestlé;
- Bernard Fialaire, vice-président, Environnement et Santé, du Conseil général du Rhône et maire de Belleville (France);
- Dre Linda Pinsonneault, professeure adjointe de clinique à l'Université de Sherbrooke et médecin-conseil à la Direction de la santé publique de la Montérégie.
Le point de vue de la santé : il faut plus de prévention contre l’obésité chez les jeunes
Les recherches de la Dre Linda Pinsonneault se sont intéressées aux traitements les plus efficaces contre l’obésité. Sans surprise, ce qui fonctionne le mieux ce sont les traitements qui combinent plusieurs approches : l’alimentation, l’activité physique, la modification de comportement, etc., et qui sont dispensés de façon intensive, soit une durée minimale de 26 heures en 6 mois.
Quant aux traitements plus « médicaux », la Dre Pinsonneault rappelle que l’orlistat est le seul médicament approuvé actuellement au Canada, mais il présente des effets secondaires très incommodants.
Ce que l’on voit aussi poindre, selon elle, c’est la chirurgie bariatrique à laquelle des jeunes ont maintenant recours, car le nombre d’adolescents souffrant d’une obésité grave et très grave semble être en augmentation et, dans ces cas, cela peut être une question de survie.
Au Québec, selon les différentes données de prévalence disponibles, on dénombrerait de 80 000 à 140 000 enfants obèses chez les 5 à 17 ans.
Ces chiffres, poursuit-elle, nous mettent devant des choix éthiques importants, notamment parce que cela représente un fardeau économique considérable pour notre système de santé.
En effet, selon une publication américaine récente, la prise en charge de chaque jeune représenterait environ 3000 $, excluant la chirurgie et la médication.
« Il faut réussir une prévention encore plus efficace pour qu’il y ait moins d’enfants qui en arrivent là », conclut-elle.
Le point de vue du consommateur : vers une intervention de l’état et un changement de sa façon de consommer
L’obésité est un enjeu complexe qui ne repose pas seulement sur l’individu, dit François Décary-Gilardeau.
Selon lui, on ne peut analyser l’obésité ou tenter decomprendre les habitudes alimentaires sans prendre en considération la société dans laquelle on évolue.
D’après son expérience montréalaise, 40 % des foyers gagnent moins de 20 000 $ par an et 54 % n’ont pas les capacités de lecture pour bien se débrouiller dans l’environnement alimentaire. Comment alors privilégier le droit à une alimentation saine et de qualité pour tous?
Devant ces enjeux à la fois individuels et sociaux, il lui semble que les gouvernements doivent intervenir, car il serait étonnant que le marché parvienne à se réguler lui-même. En effet, l’industrie agroalimentaire est « tiraillée » entre des intérêts parfois contradictoires.
Il cite en exemple la volonté de reformuler les aliments pour qu’ils soient sains : « Devant la hausse des prix des denrées de base, note François Décary-Gilardeau, pour demeurer concurrentielle, elle pourrait choisir des solutions faciles, comme mettre plus de sel au lieu du basilic pour améliorer le goût d’une sauce aux tomates, ce qui lui revient moins cher. »
Il ajoute : « On sent poindre une grande insatisfaction vis-à-vis du système agroalimentaire. J’ai l’impression que, dans l’avenir, on assistera à une implosion de ce système qui est trop fondé sur les intrants externes et qui nécessite de grands coûts de transport. » Il croit aussi qu’il est nécessaire et tout à fait possible d’arriver à changer nos modes de consommation.
« Pour ma part, j’ai trouvé que les meilleurs prix ne sont pas du côté des grandes chaînes et du système tel qu'on le connaît généralement. Ils sont notamment du côté des organisations communautaires, telle Bonne boîte, bonne bouffe (Moisson Montréal) dont les prix sont significativement moins élevés que ceux des géants du détail. »
La vision de l’industrie agroalimentaire : des produits plus santé, des formations, de la recherche
Selon Christine Demen-Meier, les entreprises font des efforts pour offrir de meilleurs produits (moins de sel, moins de gras, etc.) bien que le goût des produits demeure primordial pour éviter que les consommateurs ne se détournent des produits plus sains pour des produits plus goûteux.
Bien entendu, il ne s’agit pas exclusivement d’un geste philanthropique, reconnaît la chercheuse. Les entreprises doivent être rentables et la santé devenant un enjeu de la société, elles sont bien placées pour proposer des solutions adaptées à l’ensemble de la population.
Les enfants sont une clientèle privilégiée par les stratégies de responsabilité sociale des géants tels Nestlé, Danone et Unilever.
Par exemple, certains ont développé des ateliers et des formations visant l’amélioration de l’alimentation chez les enfants, non seulement pour contrer l’obésité, mais aussi les carences alimentaires.
De même, les professionnels de la santé et de l’alimentation, par exemple les dirigeants de cantine scolaire, profitent gratuitement de différentes formations et outils pédagogiques.
L’industrie agroalimentaire participe fortement à la recherche, que ce soit des recherches fondamentales (par exemple sur les nutriments) ou encore des recherches sociologiques, afin de comprendre les facteurs déclencheurs de l’obésité ou qui la favorisent. Cette industrie finance de nombreuses études dans différents milieux universitaires indépendants, soutient Christine Demen-Meier.
Mais, on aurait tort de nier l’apport et la place qu’occupe l’industrie, affirme-t-elle. « Les normes appliquées en Europe dans l’industrie agroalimentaire sont terriblement strictes en matière de sécurité alimentaire, une préoccupation majeure pour l’alimentation dans la restauration hors domicile. De plus, ces entreprises sont essentielles pour l’économie de plusieurs pays, y compris pour la France qui ne peut pas être accusée de ne pas démontrer un attachement à la culture et aux traditions gastronomiques. »
Les actions publiques
Quant au monde politique, selon le vice-président, Environnement et Santé, du Conseil général du Rhône et maire de Belleville, Bernard Fialaire, il a déjà modifié ses pratiques afin d’adopter une vision plus mobilisatrice.
« On est passé d’un "inventaire d’actions" à essayer de donner plus de sens afin d’être dans un état d’esprit où la santé des gens, telle que définie par l’Organisation mondiale de la Santé, repose sur des actions plus cohérentes, plus efficaces et sur lesquelles on puisse communiquer de façon plus importante. »
Claudia Morissette pour Québec en Forme
