L’éducation alimentaire: une approche historique
Julia Csergo nous livre les faits saillants d’une enquête historique sur l’éducation alimentaire qu’elle a menée sur la France de la fin du 18e siècle jusqu’à la première moitié du 20e siècle, principalement sur l’approche des politiques publiques et des politiques d’éducation nationale en matière d’éducation alimentaire.
Compte rendu de la présentation de Julia Csergo, professeure en histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2.
1. L’éducation alimentaire : les préoccupations hygiénistes
« Au début du 19e siècle, on est dans une époque marquée par des préoccupations hygiénistes où tout un champ de la médecine se développe. L’hygiène est définie à ce moment-là comme l’art de conserver la santé et d’accéder au bonheur. Dans ce courant de pensée hygiéniste par exemple, l’individu a le devoir de veiller à sa santé », note l’historienne Julia Csergo.
Elle ajoute que le plus grand problème à cette époque était la tuberculose, qu’on reliait souvent à la mauvaise qualité de l’air et à la mauvaise alimentation.
La responsabilité des pouvoirs publics était alors d’assurer la santé physique et morale des hommes qui vivent en société, notamment sur la salubrité de l’habitation, la disponibilité et la salubrité de l’eau et l’alimentation au niveau de la quantité, la qualité et des choix alimentaires.
« Par exemple, dans les années 1880 à Paris, les laboratoires municipaux qui permettaient d’analyser la composition des aliments révélèrent qu’il y avait 30 % des aliments analysés qui étaient nocifs pour la santé », mentionne Julia Csergo.
2. L’éducation alimentaire dans les programmes scolaires
« Dans les programmes scolaires de la seconde moitié du 19e siècle et jusqu’aux années 1930, on se rend compte que les garçons ont accès à l’éducation alimentaire dans plusieurs disciplines : la botanique, la physiologie (digestion, etc.), la nutrition et l’hygiène », indique-t-elle.
Les filles ont aussi accès à ces disciplines, mais on leur ajoute d’autres matières comme l’économie domestique où elles doivent apprendre à élaborer des rations alimentaires, à choisir des produits, à composer des repas économiques, sains et rationnels. On leur faire également des leçons de morale sur l’ivrognerie et la gourmandise.
« Par cette éducation, l’État est pédagogue puisqu’il lutte contre l’ignorance et les préjugés alimentaires qui sont inscrits dans les mentalités. Il instruit sur les nouveaux savoirs nutritionnels et gère la question sociale de l’insuffisance alimentaire en faisant en sorte que, par l’éducation, l’individu devient un acteur de sa santé. C’est aussi par le biais de l’enfant qu’on va pénétrer dans les familles pour éduquer les mères. La famille va véritablement devenir le pilier de la société », note l’historienne.
Elle constate aussi que toutes les politiques mises en place à ce moment-là sont liées aux exigences sanitaires des sociétés libérales et industrialisées : une population en bonne santé donne de meilleures performances au travail.
3. L’éducation alimentaire : les leçons tirées de l’histoire
Selon Julia Csergo, cette perspective historique nous apprend que l’école demeure un lieu privilégié pour transmettre les notions de base d’une saine alimentation.
« De nos jours, on est encore dans les phénomènes d’idéalisation de la mère au foyer et d’une stigmatisation des modèles familiaux non normés. On privilégie toujours la responsabilité individuelle en ce qui a trait à sa santé et à ses comportements alimentaires », poursuit-elle.
Les différences se situent surtout autour de l’objet des politiques publiques : avant on gérait l’insuffisance alimentaire et maintenant on doit gérer l’abondance.
« La dictature du “nutritionnellement correct” dans laquelle nous sommes en France peut nous amener à nous interroger sur les fondements mêmes de cet hygiénisme qui est tablé, à mon sens, sur la responsabilisation et la culpabilisation de l’Individu entre le bon et le mauvais aliment, entre le fort et le faible, sur la capacité de résister à manger un aliment trop riche », estime Julia Csergo.
Selon elle, la mise en perspective historique de l’approche nutritionnelle montre qu’on risque de masquer les dimensions multifactorielles des problèmes de comportements alimentaires, comme l’obésité.
Carole Boulé pour Québec en Forme
Ce reportage a été rendu possible grâce à Québec en Forme avec la collaboration de l’ITHQ.



